La mobilité pour tous : « Un être humain n’est pas un colis »

La mobilité est importante pour tous les citoyens. C’est un élément impératif pour prendre en charge sa propre liberté et pour exercer les taches de base du quotidien. Dans une ville comme Bruxelles, la mobilité devient pénible, même pour les personnes sans restrictions physiques. Nabila El Kabbaj, directeur de l’asbl Transport et Vie, se bat chaque jour afin de réaliser un transport adapté à la situation de chaque être humain.

« Ces ambulanciers vont manger tout le cochon et moi les oreilles », c’était la première impression de Nabila El Kabbaj dans ses discussions avec Belgambu. « La carence des moyens de transport, pour les personnes fragilisées et/ou âgées, dans la capitale, est criante. Bruxelles, métropole où le temps est compté pour tous, nous a obligé à reconsidérer le transport pour ces personnes. C’est donc important d’écouter les experts, de rassembler toutes ces idées et de s’en sortir ensemble. Petit à petit j’ai compris que intérêt commun de mon organisation et de Belgambu est l’être humain et sa situation quotidienne et sanitaire. »

C’est grâce à ce genre de collaborations que d’autres idées se développent, pour mieux répondre aux attentes et besoins de leurs bénéficiaires. Les échanges avec Belgambu ont permis à Nabila d’apprendre sur un autre volet de transport, résultant dans le commencement d’une précieuse collaboration et dans une amélioration de sa propre asbl Transport et Vie. Nabila l’a fondée en 2008 à Bruxelles suite à une expérience personnelle. « Je me suis rendu compte que mon enfant, ayant besoin de transport adapté, était considéré comme un colis et la qualité du transport était insuffisante. En tant que maman et citoyenne, je me suis dit : qu’est-ce qu’on veut comme société », raconte Nabila. « Alors au lieu de critiquer, j’ai pris les choses en main. Être acteur de sa propre vie est tellement important. Y compris une vie sociale et professionnelle. Nous tentons de soutenir les familles de la personne handicapée ou fragilisée en adéquation avec leurs sensibilités, leurs attentes, leurs besoins tout en souhaitant leur transmettre un souffle nouveau et une note d’espoir. »

Une société handicapée

L’asbl Transport et Vie est composée de vingt véhicules au total, dont huit adaptés pour tous les types de chaises roulantes, qu’elles soient électriques, de grandes tailles ou avec des coques. Nabila : « Ceci nous permet par exemple de transporter des personnes avec une chaise électrique adaptée à leur handicap. » Pour pouvoir conduire ces véhicules, les chauffeurs doivent suivre une formation reconnue, se focalisant en particulier sur la sécurité et le bien-être de leurs bénéficiaires. « Nos chauffeurs doivent savoir comment réagir quand une personne autiste commence à crier ou quand une dame qui va à la chimiothérapie perd le courage. Ils doivent savoir comment supporter une personne handicapée dans tous ses besoins. Même si handicapé est un mot tellement mal choisi. C’est notre société qui est handicapée parce qu’elle a mis des normes. Elle ne dispose pas des outils pour soutenir tous ses citoyens. »

transport et vie

«  Il faut de l’empathie mais il faut aussi des personnes formées. »

C’est un bel exemple de l’engagement de Nabila. Ses chauffeurs ont déjà suivi une formation de 80 heures pour le transport des personnes, y compris un cours de premiers secours. Bien que cette formation de 80 heures ne soit pas imposé par la loi. La piste que Nabila souhaite suivre est d’aller encore plus loin et d’investir en une formation de 160 heures – 80 heures supplémentaire que la formation pour le transport des personnes. Celle-ci mène à une qualification comme ambulancier de transport non-urgent de patients. Du coup ils savent comment mettre une personne en sécurité, dans tous les domaines. « Il faut de l’empathie mais il faut aussi des personnes formées. Tous mes chauffeurs sont des anciens articles 60 : des personnes sans emploi et dans un trajet d’intégration sociale. Leur salaire n’est pas très élevé, mais nous prenons soin d’eux, par exemple avec une assurance hospitalisation complet. Une insertion sociale réussie est un écosystème en permanence dont nous avons besoin d’un levier pour arriver à une insertion réelle. C’est-à-dire une insertion sociale et économique. Cette formation d’ambulancier de transport non urgent de patients de 160 heures leur donne une qualification d’une profession de soin. Pour eux ça signifie une vraie opportunité, une autre perspective dans leur carrière professionnelle, un sens de vie et une motivation inhérente. Chaque chauffeur connait son véhicule, sa responsabilité et comment le combiner avec les aspects techniques et relationnels pour que les personnes en transport se sentent accompagnées. Ce sont des compétences réelles pour lesquelles ils ne sont pas reconnus au jour d’aujourd’hui. »

Besoin d’un changement profond

La santé est un concept large où tout dépend du moral, en tant que personne transportée et en tant que chauffeur. Selon Nabila l’aspect humain est souvent oublié. Surtout au niveau politique. Transport et Vie ne reçoit pas de reconnaissance ou de statut. Il y a quelques mois elle n’appartenait même pas à un comité paritaire. « La politique nous tolère, mais elle ne nous donne pas de légitimité. Même un service comme Uber a un statut », explique Nabila. « Alors j’ai pris l’initiative de soumettre mon organisation à une inspection rigoureuse afin de pouvoir appartenir à une comité paritaire. Ils m’ont classée dans le Fonds Social Transport et Logistique. La même classe que les transporteurs de colis vu qu’on fait des transports routiers à part des tiers. »

Au fond, le secteur doit changer, trouve Nabila. « Un professionnel de santé s’occupe d’êtres humaines, de personnes vulnérables et non de colis. Un transport urgent se passe avec le 112, les autres transports dépendent de la personne. Qu’est-ce qu’elle veut, de quoi a-t-elle besoin ? S’il faut un encadrement, le service ambulancier non urgent est désigné. Si cette personne va bien et se sent capable, elle a aussi le droit d’un transport avec au volant un chauffeur qualifié (un ambulancier de transport non urgent de patients). À ce moment-là un véhicule sanitaire léger suffit. Mais il faut surtout aller au-delà. Au-delà des régions politiques jusqu’au niveau national et jusqu’à ce que tous les transports de patients soient au même niveau de qualité, indépendamment si une personne est transporté de façon couchée, assise ou dans une chaise roulante. »

Entretemps Nabila continue de faire les choses à l’envers. Elle a choisi d’investir en formation et en qualité. « Nous faisons plus que le gouvernement nous impose. C’est ironique, la plupart des secteurs ont peur des règles plus strictes et nous demandons au gouvernement de nous imposer davantage ces règles. Mais il refuse d’adopter une approche globale. Il manque au gouvernement une vision à long terme. Tout se passe par étape, en fonction du timing et du portefeuille du ministre et d’autres influenceurs. Nous y arriverons, mais il y a encore du boulot à faire. »